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Juliette Cazanave Nicole et Jean, 65, 2000
Si la perception dun film est toujours un " palimpseste de modes " , il est clair que pour les membres de la famille filmée le film tient davantage du souvenir, de lenquête, de lhommage, bref de la fonction indicielle, que de la représentation ; " les membres de la famille voient dans les images tout autre chose que ce qui y est représenté ". Quel statut accorder alors à ces films et à ces vidéos dauteurs (qui peuvent par ailleurs sêtre illustrés dans de tout autres genres) qui prennent, le temps dun film, leur propre famille comme objet ? Quest-ce qui, dans ces films, nous happe, nous spectateurs extérieurs, dans les images de ces familles qui ne sont pas la nôtre ? Le pari d " Affaires de familles " est de soutenir que cest la qualité duvre artistique, adressée à un autre, qui sauve ces films de famille du solipsisme. Le home movie (ou film personnel ) est un genre en plein développement depuis une vingtaine dannées lapparition déquipements vidéo légers, performants et bon marché y est pour beaucoup - mais le film personnel a une histoire plus longue, qui remonte, pour dater une apparition quantitativement significative, aux années 1960. Kenneth Anger, Jonas Mekas, Stan Brackhage aux Etats-Unis, Joseph Morder en France (e.a.) sont les représentants historiques du genre. Mais le home movie et le film de famille ne se confondent pas : dans le home movie, le cinéaste-narrateur est central, son point de vue subjectif est manifeste, et à travers les murs de sa chambre cest au monde quil sadresse, notamment par lusage récurrent dun style " amateur " (images floues, tremblées, montage associatif symbolique) qui, en sopposant frontalement aux codes du cinéma commercial, fondent aussi une opposition éthique à toute léconomie et à toute lesthétique de la culture dominante. Dans le film de famille à proprement parler, les amateurs sefforcent au contraire de bien faire, en tâchant dimiter les codes dominants, malgré les difficultés ; ainsi la construction dramatique, notamment, semble souvent incomplète, car sil est facile de commencer à filmer une fête danniversaire, un départ en vacances ou les préparatifs dun barbecue, il est beaucoup plus difficile den finir. " Affaires de famille " se situe donc quelque part entre ces deux pôles : en filmant leur propre famille, pour résoudre un drame personnel (Papa et moi), pour faire testament (Les vacances du cinéaste) ou transformer sa vie en uvre dart (Joël Bartoloméo), ou pour simplement parler de soi et de ses parents (Billingham)les artistes et réalisateurs sattachent à créer des films qui thématisent la démarche denregistrement cinématographique, et qui font donc une place au spectateur.
Richard Billingham Le Bocal, 40
" A qui profite le film ? " nous étions-nous demandés au début de notre réflexion, ou comment éviter le voyeurisme ? Le transfert du privé au public est dune certaine façon toujours à luvre dans la démarche artistique, mais avec les films et vidéos de famille, la question de ladresse devient prépondérante ; la télévision-poubelle et le porno font depuis longtemps déjà un usage abondant des images amateur pour titiller les pulsions scopiques des spectateurs ; la publicité a aussi usé du genre. Les choix de programmation reflètent donc à la fois la défense dun cinéma en recherche et en questionnement sur sa propre forme, et lapproche des thématiques familiales dans leur variété (quête des origines, préservation des mémoires, autothérapie).
"Affaires de familles" offre un programme de films et vidéo récents, linstallation de Guy Milliard "Une noria dimages", projections en boucle sur plusieurs écrans de séquences tournées sur 60 années dans sa famille, et deux soirées de débats, avec un sociologue, une psychanalyste et des historiens du cinéma. En touche finale, la projection en première suisse de " Numéro zéro ", premier film de Jean Eustache, datant de 1971, avec sa grand-mère Odette et son fils.
Lysianne Léchot Hirt, responsable des Activités culturelles de lUniversité de Genève
André Iten, directeur du Centre pour lImage Contemporaine de Genève
Guy Milliard, réalisateur
Juliette Cazanave Nicole et Jean, 65, 2000
PROGRAMME AFFAIRES DE FAMILLES
En première suisse: film de Jean Eustache Numéro zéro
Samedi 5 avril 2003 à 20h, Auditorium Arditi-Wilsdorf
Mardi 1er avril
18h
Vernissage de linstallation vidéo de Guy Milliard Une noria dimages: films dune famille 1938-2003, 2003
20h
Robert Frank Conversations in Vermont, 30, 1969
Claudia Von Alemann War einst ein wilder Wasserman, 43, 2000
22h
Guy Milliard Vers Pamiers, 30, 2002
Linda Vastrik Papa et moi, 52, 2000
Robert Frank Conversations in Vermont, 30, 1969
Mercredi 2 avril
18h
Scène privée / scène publique
Conférences de André Petitat, professeur de sociologie à lUniversité de Lausanne et Mireille Cifali, psychanalyste et enseignante à lUniversité de Genève.
21h30
Anri Sala Intervista, 26, 1998
Juliette Cazanave Nicole et Jean, 65, 2000
Anri Sala Intervista, 26, 1998
Jeudi 3 avril
18h
Cinéma expérimental / Film damateur
Conférences dAlexandra Schneider, historienne du cinéma, auteur dune thèse sur les films de famille, des Universités de Zurich et Berlin (en anglais) et de François Bovier, assistant au Département dhistoire et esthétique du cinéma de lUniversité de Lausanne.
21h30
Rachel Vuillens Ma mère, 4, 1995
Maya White White memories under the magnolia tree, 40, 2002
Richard Billingham Le Bocal, 40, 1998
Vendredi 4 avril
18h
Emmanuelle Antille Wouldnt it be nice?, 13, 1999
Fatima Ouazzani Dans la maison de mon père, 60, 1997
Péter Forgacs The father and his three sons - the Bartos family, 59, 1988
20h
Joël Bartoloméo Mes vidéos, 20, 1996
Hélène Lapiower Petite conversation familiale, 60, 1999
22h
Lionel Baier Celui au pasteur, 64, 2000
Johan Van der Keuken Les vacances du cinéaste, 39, 1974
Samedi 5 avril
14h-18h
Les films de la programmation sont à disposition du public dans la médiathèque (entrée libre)
16h
Pola Rapaport Family Secret, 52, 1999
David Zeiger The Band, 60, 1998
18h
Thérèse L. Rani Ma mère tzigane, 30, 2000
Noami Kawase Embracing, 40, 1992
20h
Jean Eustache Numéro zéro, 110, 1971, en première suisse
Auditorium Arditi-Wilsdorf, Place du Cirque, 1 av. du Mail, 1205 Genève
Juliette Cazanave Nicole et Jean, 65, 2000
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